Encouragées par les directives du Coran et l’enseignement du prophète qui incitait les femmes à « parler pour elles mêmes », ces dernières, vont investir le champ social, transgresser les lois tribales et tenter de rompre avec les coutumes ancestrales humiliantes… Elles vont entrer en islam, contre l’approbation de la famille, du pouvoir tribal et politique de l’époque… Elles vont contribuer de manière inestimable à la diffusion du message, par leurs sacrifices, leur résistance aux sévices physiques et psychologiques dus à leur engagement religieux… S’exiler au nom de leur foi… S’allier politiquement et spirituellement avec le Messager…
En collaborant côte à côte avec les hommes de la nouvelle communauté, ces femmes vont donc prendre la parole, revendiquer leurs droits, participer à toutes les actions politiques entreprises à l’époque, s’investir matériellement, physiquement et moralement pour la cause de l’islam… Il s’agit bien là d’une révolution féminine en plein désert d’Arabie où la révélation coranique et l’enseignement du prophète de l’islam interpellait hommes et femmes à rivaliser dans la piété et le bien de tous…
Les femmes vont donc massivement prendre leur place au sein de la mosquée avec les hommes, afin de s’instruire, de débattre et de s’associer aux décisions prises par la communauté… Des siècles après, nos mosquées sont devenus des espaces fermés, réservés aux hommes alors que les femmes sont reléguées dans des espaces exigus, coupées du reste de la communauté, par des murs et des rideaux opaques… Condamnées à s’exiler cette fois dans les arrières fonds des centres du savoir et du pouvoir, nos femmes musulmanes d’aujourd’hui vont se résigner, se soumettre et pire, transmettre leur « renonciation » et leur « ignorance » à leurs descendants…
Un recensement historique a révélé qu’à la mort du prophète il y avait une élite savante et érudite constituée de 8 000 personnes dont 1 000 femmes. L’émancipation véhiculée par l’islam en un quart de siècle a fait qu’une personne sur huit de l’élite savante était une femme. Ce constat est à lui seul édifiant.
Comment les premières femmes musulmanes ont-elles pu accéder à ces espaces de liberté, de savoir et de pouvoir il y a quatorze siècles au nom de l’islam alors qu’aujourd’hui, on leur interdit l’accès à ces mêmes espaces au nom de ce même islam ? !
Que s’est-il passé, entre temps, pour que l’on puisse, au nom même de l’islam, permettre ce que le texte sacré et la tradition du prophète ont réprouvé et des fois même proscrit ?
Comment peut-on approuvé que des coutumes patriarcales se substituent au texte sacré jusqu’à faire croire que le Coran est lui-même un texte fondamentalement patriarcal ! Or il n’y a rien de plus faux que cette assertion puisque depuis le début de la révélation, l’islam a, bien au contraire, lutté contre les traditions et les coutumes patriarcales fortement ancrées dans cette région d’Arabie.
On peut même affirmer que le Coran est un texte anti-patriarcal puisque dans de nombreux versets il y a une critique et même un refus catégorique des principales formes de culture patriarcale.
En effet, le Coran refuse radicalement l’un des fondements de base du patriarcat à savoir celui de « Dieu le Père – mâle » qui perpétue une réelle continuité entre le Père – Dieu et le père mâle et dont le pouvoir va s’étendre à celui du mari qui par droit divin va exercer son pouvoir sur l’épouse . Ce concept de Dieu le père, est d’ailleurs antinomique avec le concept de l’unicité de l’islam.
Le Coran condamne aussi la sacralisation des prophètes comme ‘pères’ de leurs communautés et critique durement et dans plusieurs versets ceux qui suivent aveuglément le chemin de leurs pères : « Et lorsqu’on leur dit : ‘ conformez vous à ce que Dieu a révélé’ ; ils rétorquent : ‘Non, nous devons plutôt nous conformer à que nous ont légué nos pères’, et quoi les suivraient-ils même si ils étaient dans l’erreur ? » Coran 2 ; 170 .
Le Coran a donc bel et bien fustigé ce pouvoir patriarcal représenté par l’autorité du mâle et l’on ne peut accepter, qu’au nom même de ce que l’islam dénonce, on puisse avaliser des coutumes patriarcales discriminatoires.
Il est donc consternant de voir que l’élan de libération amorcé par la dernière religion révélée a été brisé en cours de chemin. Le discours sur la femme, tel qu’il fût formulé par le Coran et la Sunna, il y a plus de 1 400 ans, était résolument plus émancipateur, nettement différent voire des fois même opposé à celui que l’on nous propose aujourd’hui.
Alors que le Coran transmettait un message égalitaire avec des droits et des responsabilités, qu’il parlait des femmes dans un but de revalorisation évident, qu’il répondait à leurs requêtes… qu’il dialoguait avec elles… qu’il était question de participation politique, de Bayâa, d’exil politique, de participation sociale, de revendications de droits, de liberté d’expression… Aujourd’hui, l’essentiel du discours sur la femme dans la rhétorique islamique se focalise autour de concepts moralisateurs abstraits et surtout très infantilisants !
La femme est Fitna – tentation, la femme est Awrah – illicite au regard, on polémique sur son retour obligatoire au foyer et on insiste de manière réellement démesurée sur son comportement vestimentaire et sur son corps…
La majorité du discours islamique actuel sur la femme se résume à son corps, à la manière la plus appropriée pour le couvrir, à ce qui est licite ou illicite en matière d’habits, à l’interdiction de se parfumer, de parler à haute voix, de rire ? ! Est-ce donc, à cela, que se résume l’essentiel du message de l’islam pour une femme ? Où est donc passé l’esprit libérateur du Coran et toutes les initiatives qui ont été proposées par le texte pour initier un véritable statut d’autonomie aux femmes ?
Il est vrai qu’il y a dans l’islam, comme dans toutes les religions monothéistes d’ailleurs, une éthique du comportement et des valeurs fondamentales de décence par rapport au corps, à suivre et à respecter. Mais on oublie trop souvent que les hommes sont tout autant concernés que les femmes par cette « décence » physique… Et puis, on ne peut réduire l’essentiel du message spirituel à un code vestimentaire, comme la question récurrente du voile et à des discours perpétuels sur les dangers de la tentation féminine et sur des thèmes focalisés à outrance sur le corps de la femme…Le voile est devenu une priorité voire la priorité absolue pour toute femme musulmane qui se respecte et des musulmanes en se voilant vont réduire l’essentiel de leurs revendications à cette symbolique qui à force d’être rabâchée va perdre de sa crédibilité et se transformer en un étendard vide de sens et ô combien dérisoire devant d’autres revendications prioritaires !
Au- delà de la « recommandation » coranique du voile (le Coran parle de Khimar) qui ne peut être ni imposée ni interdite puisque cela répondrait à la même logique totalitaire, c’est à la femme et à elle seule de choisir d’en définir le sens et à personne d’autre ! Ce voile prétendu symbole de l’oppression des femmes chez certains, est devenu à force de tapage médiatique et à travers une construction idéologique entretenue, le symbole d’un véritable repoussoir, qui génère, aussi bien en occident qu’en terre d’islam, de véritables réactions passionnelles !
Finalement, c’est le même type de discours que l’on retrouve de part et d’autre, d’une part celui qui veut libérer les femmes de cet islam qui les opprime et qui les « couvrent » un peu trop et qui reste obsédé, d’une autre manière, par le corps de la femme qu’il veut dans ce cas « dé-couvrir » .Alors que d’autre part, il y a celui qui focalise l’essentiel du message spirituel autour d’un corps de la femme qu’il faudrait « sur-couvrir » car il représenterait à lui seul la VISIBILITE de l’islam en tant qu’identité à préserver et le voile résumerait à lui seul toute la morale de l’islam…
Dans les deux cas, et à quelques différences près, on est devant une idéologie sexiste qui fait fi de l’intelligence de la femme, qui fait l’impasse sur sa dignité d’être humain et sur sa capacité personnelle à faire ses propres choix au nom de ses convictions.
L’esprit de cette dynamique de libération entreprise par la révélation a donc été contourné et l'impulsion qu’a connu la question de la femme musulmane a été petit à petit minimisée au détriment d’une juridiction qui s’est acharnée à verrouiller toutes les issues laissées ouvertes, aussi bien par les orientations coraniques que par la tradition du prophète.
La philosophie du « gradualisme » prôné par le Coran qui, entre autres, visait une libération et une émancipation progressives, a été ignoré ce qui a favorisé la régression du statut de la femme.
La révolution féminine fut donc rapidement avortée et les coutumes patriarcales discriminatoires ont vite fait de reprendre le dessus et d’orienter le discours religieux vers une restriction des libertés acquises, au nom d’une morale religieuse vidée de sa quintessence.
La décadence du monde musulman s’accompagnera inévitablement d’une décadence encore plus marquée du statut de la femme du fait de deux grandes tragédies, d’abord celles des multiples conflits politiques inhérents au pouvoir autocratique et la persistance de l’esclavage. Alors que le Coran énonce à plusieurs reprises des dispositions pour l’abolition progressive de l’esclavage en déclarant tout acte de libération comme un acte méritoire, les musulmans vont, durant des siècles, faire perdurer cette pratique, qui concernant les femmes, va contribuer à institutionnaliser leur claustration dans les harems.
Et durant des siècles, alors qu’on fermera la porte de l’Ijtihad – outil indispensable pour l’évolution de la pensée islamique – on ouvrira celle des « spéculations juridiques » à l’instar de « Sad Addarai », véritable dispositif juridique de dissuasion qui a largement contribué a institutionnalisé la culture officielle de subordination des femmes. Conçu comme un véritable « code préventif » autrement dit un « code de la peur », son contenu sera, du moins en ce qui concerne le statut de la femme, fortement répressif. Même si il est certain que certains savants ont élaboré ce genre de « code » dans le souci de préserver leurs sociétés respectives d’éventuelles dépravations des mœurs. Il n’en reste pas moins qu’il y a eu de véritables dépassements et des lois très contraignantes concernant les acquis islamiques en matière de droit et de liberté pour les femmes.
C’est ainsi que l’on verra de nombreuses lois interdirent au nom de « Sad Addarai », des droits des plus élémentaires en islam. Comme le droit à l’éducation et au savoir qui sera pendant longtemps dénié aux femmes au nom de la prévention des mœurs sociales et des règles morales ! Or, quand on dénie aux femmes le droit au savoir on leur dénie le droit de justice et dans les deux cas on est en flagrante contradiction avec les principes de base de l’islam.
Elaborer ce genre de lois juridiques qui prône des interdits à tout bout de champ afin de se prémunir contre les risques toujours probables d’une dépravation des mœurs est la preuve que notre pensée est une pensée mortellement « assiégée » ! C’est, en plus d’être une solution de facilité, une démarche qui témoigne de la démission intellectuelle de notre système de pensée islamique incapable de faire face aux véritables problèmes de nos sociétés . Or, il ne s’agit pas d’interdire par anticipation mais plutôt d’éduquer afin d’éveiller la quête du sens et de la conscience, seules à même de nous prémunir contre toute amoralité et contre toute débauche… Il s’agit d’élaborer une véritable éthique de la gestion des libertés à partir d’une éducation spirituelle appropriée qui tienne compte des réalités subtiles de chaque contexte…
Ceux, parmi les savants, qui ont utilisé de façon rigoureuse, ce concept « préventif » de « Sad Addarai », ont sûrement tenté, de bonne foi, de façonner ainsi la communauté islamique afin d’atteindre une supposée « cité islamique idéale » Or, ceci est de l’ordre de l’utopie car même du temps du prophète il n’y avait pas de communauté islamique idéale ! !
Ceci est d’ailleurs de l’ordre de l’impossible à l’échelle de la réalité humaine… Dieu a voulu que la diversité humaine soit un principe de base dans cette vie et même une véritable épreuve… Il a voulu que la société humaine soit une société où le bon côtoie le mauvais, où le bien se confronte au mal, où les bommes œuvres rivalisent avec les mauvaises ou les moins bonnes… Notre vie sur terre n’est pas celle des anges qui eux sont des êtres parfaits évoluant dans un monde de perfection… Notre vie est celle de toutes les expériences humaines… faites de contraintes et de réussite, d’échecs et de tourmentes, de drames et de joies, de bonheur et de détresse, pour tester notre endurance, notre résistance, notre foi et notre soumission…
Comment peut-on gérer cette réalité avec des doctrines immobiles et figées à mille lieux de nos préoccupations quotidiennes ?…
Comment justement faire face à la complexité de nos réalités sociales quand on reste emprisonné dans des juridictions qui en plus d’avoir été légiférées dans des contextes radicalement différents, sont parfois en profonde contradiction avec les principes vecteurs du message coranique ? !
Comment faire revivre alors cet élan de libération prôné par l’islam de la révélation mais étouffé dans les confins d’une histoire islamique qui se maintient dans un silence effroyable ?
Comment faire revivre cet élan dans le cœur des musulmans mais surtout des musulmanes qui en tant que femmes sont les premières concernées par ce déni de justice ?
Comment pourrait-on convaincre ceux ou celles qui semblent résister à toute cette dynamique de réformisme par crainte de se perdrent eux-mêmes… ?
Comment leur expliquer que l’on ne peut justement rester fidèles à l’islam, sans renouveau, sans conscience critique, sans réflexion profonde, sans débat constructif ?…
Asma Lamrabet